Quotidien de la mémoire
(copyrights 2000 - H&L Editions)

Le château des Moumirs   IV
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait le pur fruit du hasard facétieux.

Cung Gia

Message de l'auteur

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Verticalité névrotique

Jeudi 10 février 2000

Assez jeune, j'ai commencé à subir la pression d'exigences esthétiques personnelles en rupture totale avec les canons reconnus comme "sains" dans mon milieu familial.

Mon obstruction à leur "Évidence du Beau", d'abord interprétée comme un signe puéril de contradiction morveuse, se transforma par sa constance dans le temps en une forme que mon père - a bout d'arguments - qualifiait de jésuitisme.

Allusion que je ne saisissais d'ailleurs pas entièrement et qui heurtait en partie ma fibre anticléricale.

J'ai mémoire d'une profonde exaspération de mon penchant "malsain" en le regardant un jour aligner ses poteaux de clôture mitoyenne.

Leur seul mode de production me soutirait déjà les grincements de dents d'un psychopathe en manque de désordre. Cette manière qu'il avait de les cloner consciencieusement avec des gabarits métalliques de précision m'urticait littéralement les méninges.

Au moment d'en sceller le pied dans le sol, il passait de longues minutes un œil fermé. Ne permettant pas un centième de millimètre de dérive par rapport à la déesse verticalité.

Aiguillonné sans doute par la certitude que tout le quartier - et son inapte de voisin en premier - ne pourrait que se soumettre à la magnificence d'une ligne mitoyenne aussi irréprochablement tracée.

La perfection de son travail me donnait des suées. La crainte aussi de me trouver malgré moi forcé de flatter sa schizophrénie rectiligne.

Son adoration absolue du fil à plomb me plongeait le système glandulaire tout entier dans un bain de vapeurs dessicantes.

Mon rêve secret eût été qu'un vent violent et divin se levât pour réduire son labeur à un somptueux enchevêtrement de piquets tordus, se grimaçant la gueule de bonheur l'un l'autre, en se chiant des appareils de précision déglingués sur le pied de béton.

Je n'ai pas été entendu.

Les piquets sont toujours là à me narguer depuis toutes ces années. A peine moins verticaux.

 

Rien de Rien

Mardi 15 février 2000

Avant Elle il y avait Rien.

Immobile. Ennuyé. Ses articulations érectiles corrodées par l'inaction. Se languissant d'un souffle qui ne soit plus cette suffocante respiration journalière d'air vicié, empoussiéré de rouille.

Rien s'inventait des fumées blanches de locomotive à toute vapeur qui ne s'arrêtait jamais à la fin du trajet. Pulvérisant ce butoir ridicule, espèce de Nabot sans tête, outrageusement prétentieux, aux énormes yeux d'acier.

Rien attendait. Fébrile. Le marteau à la main. Des fois qu'il trouverait un clou à enfoncer dans le mur de ses lamentations. Un message piquant de désirs haineux, adressé à l'arrière-train des dieux illettrés. Un furoncle forgé de temps perdu à humer ses fonds de pantalons insalubres.

De toute façon le Temps c'est ce qu'il possédait de moins intéressant.

C'est pas comme le sautillement d'un unijambiste à la recherche de son équilibre.

L'Équilibre. Voilà une vraie valeur.

Le Temps, sans le frétillements d'un avenir salivaire, ça naît périmé.

Oui ! Il se périme à l'instant où il naît. Sans consommation possible. Jamais.

Alors, pour oublier qu'il n'y avait rien à oublier, Rien buvait de temps en temps.

Ménélas, méprisant, le regardait avec mépris. Mais Rien n'en avait cure.

Comme les autres, au fond dans ses entrailles, il convoitait la belle Hélène.

Quand Elle se déplaçait au milieu d'eux, Rien observait.

Il y avait Rogius.

Un athlète de très bas niveaux, spéléologue confirmé des puits à bave. Bronzé au jus de carotte. Dépliant ses multiples possibilités comme d'un canif suisse. Qu'est-ce que tu veux ma poule ? avait-il l'air de dire, l'infâme salaud. Je te coupe, te cure, te tirebouchonne, te râpe, te poinçonne … et tout ça sur un air de guitare. Qui dit mieux ?

Alors, Willius s'interposait en trombe.

Un beau spécimen psychotique sans cesse refoulé.

Ça s'entretuait dans son intérieur saumâtre.

Et les autres ... ?

Ils attendaient la pluie de son regard fécondant pour lancer vers Elle leurs bourgeons visqueux.

Rien se leva.

Il n'avait rien à perdre … si ce n'est du temps périmé.

Ménélas le toisa goguenard.

Hélène laissa tomber sur le sol un regard que tous cherchèrent à ramasser.


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Sauf RienElle lui sourit comme source de diamants au milieu des épaves.

Le début d'un autre temps ... éminemment consommable.

 

 

Cantique des Cantiques

Samedi 19 février 2000

Ainsi, acceptant mon invitation en zone neutre, tu désirais fermement mettre les choses au point.

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A cet instant même de ta volonté mutilante, tu ne renonçais pourtant pas à cruellement me séduire.

Tes épousailles de fine laine colorée se prolongeaient sans mesure de prudence sur le charivari de ton corps fournaise.

Du subtil roulis fessier s'énonçaient en vagues ondulantes, les oraisons sauvages d'un désir malgré toi. Réclamant avec force de nouveaux tournoiements d'arène, au creux fauve de tes pentes inguinales, d'où s'écouleraient inassouvies, en riche mélange, d'innocentes férocités sensuelles à d'incontrôlables folies sanguines.

Je voulais pressentir et défendre ces exigences de broussailles enflammées de salive, dans le souvenir retentissant de tes récentes incartades, toutes étoilées d'attouchements frauduleux, que tes douanes enivrées de nuit chaude n'avaient pu contrôler.

Ainsi tu désirais mettre les choses au point.

Mais avant tu devais me suivre dans ce lieu de jeunesses attablées. Entendre les mouvements entrelacés, l'éclat des mots jaloux, le repas des vitales croissances.

Avant de tenir un discours sans véritable auditoire, tu devais faire face à mon inertie charnellement fourbe, ma paresse à entendre ton absurde apologie de l'amitié, mon avidité à scruter au plus près le message de tes plus intimes transpirations…

Sors toujours une cigarette blonde en attendant le café crème.

Triture ton briquet de luxe entre tes doigts nerveux.

Peaufine l'assommoir des mots raisonnables, comme je réactive mon autisme.

Je savoure tes lèvres fardées ,j'aime la noirceur des rêves qui festoient forcément derrière tes paupières mauves. Je lèche l'écume café de tes commissures avides.

Regarde autour de toi et vois ce qui t'arrive à nouveau.

Ils sont jeunes et affamés. Comme je le suis de toi.

Mettre les choses au point.

- Tu sais ... j'aime mon mari. J'ai trois … enfants … un métier …

Pour le blason de tes cris j'offre le tendre grain d'une peau assoiffée de morsures.

J'ouvre à ton vin laiteux le faste de mon intérieur buccal.

Je lis sagement, pour toi seule, l'édifiante première page d'une histoire aux multiples démons de joie.

Je prosterne à la source foisonnante de tes gémissements, la noirceur de mes fantasmes encore impubères.

Les choses.

- Nous ne ferons jamais l'amour ensemble !

TU M'ENTENDS !

Je t'entends cantique des cantiques.

Nous ferons l'amour ensemble.

Tellement bien et tellement fort sur l'herbe tendre, contre les arbres,  … sur la couche conjugale. Partout où ta rage révélée voudra s'accoupler à ma démence.

Oui, cette fois je t'écoute et je t'entends.

Point.

- Quand te reverrai-je ?
- Sois patient ! Je ne suis pas encore prête. Sois patient … par pitié !

Je vous en conjure,
filles de Jérusalem,
n'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour,
avant l'heure de son bon plaisir.

                                                                                 Cantique des Cantiques (ancien testament)

marilyn Monroe
Marilyn Posters

 

La bouche

Mardi 22 février 2000

Depuis quelques temps, je suis membre d'une famille qui s'appelle : Le Carnet Interdit. Vous savez, des gens qui se réunissent sur la toile en "E-group" pour raconter leurs petits soucis, leurs convictions, leurs grandes aspirations…
Comme dans toutes les familles, il y a un papa et une maman - On appelle ça des modérateurs. Ça fout la trouille non ? : " Vlaaaa les mooodérateuuurs ! ". J'ai rejoint cette famille à cause de la maman (môman). C'est sûrement freudien - même si je suis plus âgé qu'elle - Pas des masses des masses, mais enfin quand même. (Il y aurait de la perversité la dessous ??? Noooon ! Enfin je ne crois pas. Qu'est-ce t'en penses Sigmund ? Si, si, y'en a toujours. Bon ! S'il le dit.).

En me baladant au hasard je suis tombé sur son journal intime (mal caché) : une pure merveille de sensibilité et admirablement écrit en plus (enfin moi ça m'a fait un gros tilt illico). Depuis lors, entre les épisodes de la vie intérieure de notre môman - que j'attends toujours avec une certaine impatience impatiente -, je me tape avec délice, entre autres, le premier tome du journal intime d'Anaïs Nin. Chaque brique fait 500 pages. Mais c'est du très bon. En plus Anaïs, c'est une vraiment femme comme je les adolâtre (charmeuse à l'extérieur, tourmentée à l'intérieur).

Si je vous raconte cette histoire peut-être banale, c'est qu'avec mon habitude de triturer - remontant à la petite enfance avec les mouches et les papillons (pauves béétes) - je me suis posé quelques questions sur notre devenir relationnel à tous. Oui, carrément L'HUMANITÉ entière Môsieur : enfin ceux qui vivent habillés et qui portent une montre au poignet … et qui consomment de l'électricité… et qui se lavent les dents avec des petits moteurs… et…et…et…. (hé! hé! hé!)

Dans notre famille du Carnet Interdit, les enfants se chamaillent parfois, c'est normal, c'est sain. Alors papa Yves et maman Isanou tapotent les joues égratignées : Tu t'es encore battu ! C'est pas raisonnable ! Oui mais c'est eux qui m'ont traité de poète raté sur une autre chaîne … Allons vous autres ! Soyez un peu gentils … et toi, sois moins susceptible à la fin ! Du grand classique relationnel auquel personne n'échappe.

Dernièrement, nous avons senti (elle ne s'en cache pas) que notre môman n'allait pas très bien. Pour changer d'air, elle est retournée quelques jours sur les lieux de son enfance. Histoire de vider (ou de faire le plein de) son mauvais spleen. EVIDEMMENT !!! Les arbres ont été coupés, les carpes mangées, le goudron déversé... Elle a bien vu un beau visage imaginaire de-ci de-là, mais pas vraiment de quoi remuer le sang éclairci d'une internaute. Alors qu'est-ce qu'elle a immédiatement fait pour conjurer le mauvais sort ? Je vous le donne en mille ! Elle s'est pointée dare dare dans le premier cybercafé venu.

Elle entre dans le havre électronique, l'œil embué de souvenirs amputés. Personne ne remarque sa troublante beauté fragile, tout occupés qu'ils sont à se brancher leur dose de solitude - bande ... de ... cons. Elle ne reconnaît personne pour communiquer avec la bouche - cet organe écumant de sentiments, magnifique d'érotisme, avec des tranchets avides de cuir à l'intérieur -, s'installe donc sur une place libre devant un cyclope idiot qui lui scintille amicalement, envoi un rapide Email au barman pour un café crème et, avidement : se connecte sur la Famille. Sa Famille. Nous, ses Enfants. Ceux, comme elle dit, dont elle ne connaît pour la plupart que leurs mots sur son écran et leurs visages scanérisés.

Ce soir bordel, sur le terrain, en écartant les bras magiques de l'intérieur, je vais faire s'ébranler vers sa seule joie la furieuse caravane des expressions amoureuses. Se profilera alors au-delà de mon cimier rebelle, la horde Attiléenne des exigences vitales, objectant de ses puissants vagissements au silence moisi de nos catacombes domestiques. Comme d'habitude, tout autour de moi, ça sentira bon le désordre et la merde de vache, me remémorant l'ineffable douceur de toutes les mamelles généreuses. Sur mon destrier de feu, je vais encore gueuler : LAISSEZ-MOI PASSER ! (je vous raconterai pourquoi un autre jour) et j'ajouterai : NOM DE DIEU, si tel est mon bon plaisir.

 

 

 

LAISSEZ-MOI PASSER !

Mardi 29 février 2000

Dans notre village, il y avait un gars sans âge appelé Michel, que l'on tenait pour fou.

Heureusement pour nous il ne faisait pas dans la catégorie des monuments du genre que l'on appelle communément fous dangereux. Qualificatif réducteur d'une aristocratie nyctalope dominant toujours d'une pulsion instinctive le rythme récessif de la raison, protégeant au sein de sa jungle sous-crânienne la redoutable capacité d'éradiquer la peur d'éradiquer.

Non, Michel n'appartenait pas à cette élite d'intouchables. Le monde extérieur suscitait en lui bien plus d'effroi que de piaffantes concupiscences.

La majeure partie de sa journée se consumait en de longs vagabondages circulaires sans cesse recommencés.

Quand jeunes gamins nous le rencontrions dans la rue, il suffisait que nous l'interpellions par son nom : "Michel ! Michel !" pour qu'instantanément, dans l'encoignure de la première porte venue, il tente désespérément de juguler son stress par un état de prostration quasi végétatif. Il marmonnait alors quelques sons de rongeur contrarié dont nous avions grand plaisir à imiter le bruissement indéfinissable. Comme il pouvait rester, dans l'attente de sa relaxe, un temps considérable le nez au raz de son obstacle protecteur, nous rompions habituellement l'encerclement, par lassitude, après quelques secondes.

D'après la rumeur, son état s'était déclaré à l'issue d'un service militaire agité. Une institution propice, comme chacun sait, à solliciter le meilleur d'un être humain dans la dynamisation de ses tendances à l'élévation.

À la boulangerie, j'avais régulièrement l'occasion de l'observer comme un poisson prisonnier de l'aquarium. Généralement, à la simple vue du vieux sachet en papier froissé qu'il lui tendait silencieusement, Paulette n'avait aucune peine à déterminer l'objet de son désir. Mais le fil de la pièce s'animait parfois d'un saisissant vibrato, lorsque mû par le souffle diabolique d'un archet intérieur, il décidait subitement, fasciné qu'il était par l'adagio crémeux de la vitrine aux pâtisseries, de se servir lui-même un ou plusieurs gâteaux savoureux qu'il engloutissait sostenuto à même le présentoir, sans en référer à quiconque. La perspective alléchante qu'il puisse faire se soulever de ses méats ventriculaires congestionnés une armée débridée de soudards goinfreux, triés sur le volet de l'indécence, m'eût très certainement poussé à renoncer à ma propre convoitise de telle ou telle sucrerie dévastée, sur la route grandiose de son délire orgiaque. Pour peu qu'il concédât à mon attente respectueuse quelques manifestations dignes d'une folie géniale, empanachée des plus vicieuses et irréfragables exigences, dont Paulette, par exemple, eût pu faire les frais. Hélas, son estomac n'atteignait jamais la capacité critique de mon propre appétit durement réprimé, d'égarements obscènes vanillés.

Des années plus tard, j'eus dramatiquement l'occasion de pressentir la dure réalité du combat féroce que devaient livrer les restes disparates de son identité aux démons coalisés du noueux labyrinthe intérieur.

A voir la chorégraphie hésitante de son pas vers le Belvédère, une route s'éloignant du village qu'il ne fréquentait pratiquement jamais, ça devait canarder sec dans ses replis corticaux. Caché derrière un bosquet, j'observais intrigué son jeu de jambes indécis, interprétant avec peine le tracé non continu d'un parcours manifestement mijoté à temps partiel dans le fond pultacé d'une calebasse encombrée d'éboulis. Les haltes et volte-face s'intensifiaient au fur et à mesure de l'approche du but : un cul-de-sac offrant aux amoureux du coin le splendide panorama de la vallée du Ton. Après moult hésitations surmontées, négociations perdues, tergiversations réfutées, il arriva enfin au sommet dans un état proche de l'hébétude.

C'est à cet instant que la CHOSE se produisit.

Le rythme cardiaque, bien avant la lucidité, prit la mesure de l'événement. Michel se tournait et se retournait sans cesse en une danse illuminée d'apprenti derviche en perdition d'équilibre. Fixant furtivement le vallonnement ensoleillé, pour aussitôt se retourner en méditation courbe face au havre concavement protecteur du bois noir d'où je l'observais immobile. Quoi de plus poignant - fascinant -, sous la bénédiction d'un ciel radieux, que la trépidante impasse d'un marteau bègue à convaincre une enclume sourde de son bon droit à une étincelle d'harmonie. Dans la pré-déflagration silencieuse d'un dernier effort à éventrer le maillage des forces centrifuges qui l'oppressaient, juste avant de se rendre foudroyé à la poussière, il gueula d'une voix si parfaitement claire, intelligible : LAISSEZ-MOI PASSER ! LAISSEZ-MOI PASSER !

Je n'avais jamais su cette voix qui porte si profond dans l'estomac le mugissement ascensionnel des chutes qui ne finissent pas libres. En d'autres lieux, sous d'autres cieux, d'autres désespérés, je le savais sur les pages d'un livre racorni, me renvoyaient le même prodigieux cri : C'EST UNE BELLE JOURNÉE POUR MOURIR !

N'est-ce pas ce jour là, témoin tout puissant d'un rendez-vous singulier, qu'il a été offert à mon jugement invertébré de pratiquer, par omission, sa première euthanasie ?

Il ne reste parfois de l'urgence non maîtrisée que le "trop tard", le souvenir de son dernier gémissement : LAISSEZ-MOI PASSER !

 

 

 

Collisions séminales

Lundi 06 mars 2000

Chaque jour d'avantage je me rends compte que seuls les mots en relation avec la peau, le corps, le désir, sont encore susceptibles de réveiller en moi quelques soubresauts d'intérêt.

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Je dois bien l'avouer, désenchanté des chemins qui n'aboutissent pas résolument aux transpirations des sens, j'entame à présent un cercle de soumission qui annonce comme inéluctable mon retour obsédant vers la mémoire envahissante des généreuses initiatrices.

En prenant ce large tournant, où je le sais s'accélère l'incubation du final rebours, c'est comme si, dans cette avant-dernière course taurine, je rejoignais enfin le coureur sautillant, si longtemps imprécis devant moi, dont je reconnais à présent la foulée magique.

Celle-là même qui me portait avec souplesse aux premières rencontres fusionnelles.

Je deviens progressivement en quelque sorte le fauve gardien de cet enfant que j'étais. Inventoriant les multiples transpirations haletantes de ce frêle puisatier, fardé de joyeuses glaires au sortir des seuls fonds qui compteront à jamais : ceux incarnés de l'Amour.

Engagé malgré moi dans le pas tourbillonnant de cette danse macabre je garde encore le goût braisé des taurides collisions séminales.

Jusque quand ?

Jusqu'au jour probablement où les mots de la chair, vidés de leurs merveilleux sens, deviendront parfaitement imprononçables. S'agitant de dégoût hérissé à l'approche de ma plume au-dessus d'un cuir ridé autrefois pour eux si sublime écritoire des assouvissements.

Il y a quelques temps j'ai lu sous un trait flamboyant de désirs :

"… je me sens mourir le sexe sec, le ventre aigri, l'envie de hurler, d'expulser la douleur de ma fente affamée. … J'aimerais que tu me fasses devenir femme à nouveau, être l'amante que tu baiserais jusqu'à être épuisée."

 

 

Parfois encore

Samedi 11 mars 2000

Ainsi est venu le temps des constats. Les pieds nus fouillant l'humus noir de la vie, à mon tour il m'appartient d'en décomposer la terrifiante teneur. Celle mécanique des hécatombes.

Ils sont tous à mes côtés : frères incompris, négligés, inécoutés, éternellement courant le dos incliné sur une tâche alimentaire qui les déshumanise avant de les occire par étouffement.

Et puis je les escorte parfois encore dans leur chambre, sans risque de mort violente, celles jadis tremblantes de fabuleux geysers, qui m'ont livré les cartes tortueuses de leurs premières félonies. Leurs yeux sont leurs derniers brillants repères. Repères des derniers pièges dans lesquels je fais mine d'encore tomber.

Alors, résolument, contre toute habitude, je me prends à regarder vers le bas de l'échelle des âges.

J'entends aussitôt se porter vers mon socle fêlé les appels pathétiques de celles qui, essayant avec frénésie leurs dernières culottes fluorescentes, abordent les rives inhospitalières où je suis déjà partiellement enlisé. Je ne peux m'empêcher à leur approche doucement sautillante de sourire en claquant des dents. Et puis, elles aussi, je les escorte parfois encore dans un boudoir au parfum de confiture.

Alors effaré, contre toute religion, le mufle haletant d'une bête à définir, je plonge à l'écoute des premiers échelons.

Me vient d'eux un somptueux chant d'amère et courte rédemption. De ceux qui me flagellent de leur insupportable beauté sans espoir d'obtenir contrition pour la douleur infligée.

N'ai-je pas moi-même proféré la plus insultante, la plus incicatrisante des blessures : " J'ai vingt ans … et je t'emmerde ! "

Parfois me vient le sens des somptueuses ruades. De celles que par mégarde (ou par chance) on se prend en pleine tête.

Non, mon Amour je ne suis pas agité … ce soir.

 

à suivre

 


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